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Conseils d’experts : la propriété intellectuelle appliquée à l’impression 3D

Publié le 13 novembre 2017 par Mélanie W.
propriété intellectuelle dans l'impression 3D

Que ce soit via des pièces optimisées topologiquement pour l’aéronautique, des structures lattices pour des bijoux de grands joailliers ou des modèles inspirés de la nature pour l’automobile, l’impression 3D n’a jamais offert autant de liberté aux designers.

Mais à cette vitesse, une question se pose concernant le cadre légal de la propriété intellectuelle régissant ses acteurs : imprimeurs 3D, concepteurs CAO et consommateurs finaux. Comment protéger les modèles 3D et leurs créateurs toujours plus nombreux ? Comment réglementer les échanges formidables offerts par la technologie sans toutefois la freiner ?

Pour répondre à ces questions, 3Dnatives a interrogé trois experts : Maître Ronan Hardouin, avocat au cabinet franco-belge Ulys spécialisé dans le droit de la création et de l’innovation; le designer français Jean-Charles Rodinger alias Cromagnon, et Michael Weinberg, Responsable Juridique pour la plateforme Shapeways. Une opportunité pour en savoir plus sur la place de la propriété intellectuelle dans l’impression 3D.

Les différentes plateformes de l’impression 3D

Avant même de rentrer dans le vif du sujet, il est important de bien identifier les services disponibles sur le marché pour comprendre quels sont les choix qui s’offrent au designer souhaitant partager ses modèles 3D, ou un site souhaitant partager des modèles 3D mais aussi un particulier voulant faire imprimer un modèle original ou téléchargé.

propriété intellectuelle dans l'impression 3D

Choisir la bonne plateforme est une première étape importante

Il existe tout d’abord des catalogues de fichiers en ligne comme Thingiverse, Cults 3D ou MyMiniFactory : ce sont des plateformes qui regroupent des milliers de fichiers 3D mis à disposition par des designers. Certains sont gratuits, d’autres payants. L’utilisateur les télécharge et peut les imprimer en 3D sous diverses conditions expliquées plus loin dans cet article.

Les plateformes en ligne comme Shapeways, Sculpteo ou encore i.Materialise se veulent des usines dans le cloud. Elles impriment le modèle choisi par l’utilisateur, qu’il l’ait chargé sur la plateforme ou bien choisit directement parmi le catalogue mis à disposition sur le site. Un designer pourra de son côté y déposer ses modèles 3D et recevoir une rémunération par la plateforme à chaque fois qu’une impression sera commandée. Enfin, il existe des plateformes d’intermédiation, comme 3DHubs ou Freelabster, mettant en relation les clients à des propriétaires d’imprimantes 3D (particuliers ou professionnels) proches de chez eux.

Les options à envisager pour le designer 3D

Lorsqu’un créatif décide de mettre ses modèles 3D en ligne, sur une des plateformes citées ci-dessus, il est protégé par le droit d’auteur. « Le droit d’auteur a vocation à protéger les auteurs. La personne qui exploite une œuvre doit nécessairement disposer de l’autorisation de l’auteur pour ce faire » explique Maître Hardouin.

propriété intellectuelle dans l'impression 3D

Ronan Hardouin

Il existe donc un cadre préalablement défini qui garantit aux designers une certaine forme de protection auquel le designer se plie en rejoignant la plateforme. « En pratique, les conditions d’exploitation d’une œuvre déposée sur une plateforme sont souvent prévues dans les conditions générales et varient au grès de celle-ci. Les conditions générales sont des contrats d’adhésion, c’est à dire des contrats non soumis à négociation que l’on doit accepter tel quel » ajoute Maître Hardouin. 

Sur la plupart des plateformes, les conditions générales obligent toutefois le designer à publier le fichier via des licences sous Creative Commons. Le cadre Creative Commons fournit différents types de licences simples qui protègent les auteurs et artistes. Elles sont internationales et définissent les possibilités que l’utilisateur possède concernant l’œuvre en question – dans notre cas, un modèle 3D.

Il existe deux principales catégories de licences : celles qui autorisent ou non un usage commercial et celles qui permettent de modifier le modèle ou non. Six licences se basent sur ces deux catégories.

propriété intellectuelle dans l'impression 3D

Les différentes licences Creative Commons

Les designers devront ainsi souvent choisir parmi une de ces licences sur la plateforme sur laquelle ils chargent leurs modèles 3D. Par exemple, s’ils choisissent la licence « Attribution », un utilisateur pourra télécharger et modifier le fichier comme il le souhaite à condition qu’il mentionne le designer. Cela implique également qu’il pourra en faire un usage commercial. Le designer doit donc savoir d’entrée de jeu s’il autorise la vente de son fichier et d’éventuelles modifications de son travail.

L’artiste 3D français, Jean-Charles Rodinger, explique dans son cas qu’il choisit le plus souvent la licence « Attribution – Pas d’utilisation commerciale » sur le site Cults, une plateforme française de fichiers 3D. Il affirme qu’il n’a jamais été confronté à un utilisateur qui a fait un usage commercial d’un de ses modèles. Toutefois, il admet qu’il ne peut pas tout vérifier : « Sur des sites de partage, les gens prennent les modèles, on ne peut pas tout vérifier. L’idée avec l’Open-Source, c’est de partager. Pour Jean-Charles, la question de la propriété intellectuelle dans l’impression 3D n’est aujourd’hui pas un problème étant donné qu’il souhaite seulement partager ses modèles au plus grand nombre et qu’il ne compte pas en faire son activité principale. Il conclut « on est finalement toujours protégé par les conditions qui sont propres à la plateforme qu’on a choisie ».

propriété intellectuelle dans l'impression 3D

Un exemple de modèle 3D mise à disposition par l’artiste Cromagnon

Les règles à respecter pour l’utilisateur

La première question que l’utilisateur doit se poser est de savoir s’il va faire un usage commercial du modèle 3D qu’il compte télécharger. Il doit ensuite vérifier les conditions générales de la plateforme sur laquelle il se rend pour choisir ses fichiers à imprimer. Notre avocat explique qu’en général, « l’utilisateur final n’acquiert aucun droit de propriété intellectuelle. » Dans la plupart des cas, il ne peut que « jouir des caractères fonctionnels de l’œuvre imprimée en 3D. » Cela revient pour la plupart des plateformes à vérifier les termes de la licence choisie par le designer afin de bien comprendre ce qu’il est possible de faire ou non, et de ne pas sortir de ce cadre.

Certains outils sont mis à disposition afin de bien appréhender les droits dont on dispose ; Design View par exemple est une base de données permettant de consulter toutes les informations concernant les dessins et modèles enregistrés – comme le nom du titulaire ou le date de dépôt de la création par exemple. Creative Commons a également rédigé un document « Common Deed » qui permet à toute personne d’en savoir plus sur les licences très simplement.

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Un des modèles trouvés sur la plateforme Shapeways

Dans le cas où le modèle 3D serait obtenu de manière illicite ou s’il s’agit d’une copie d’un design connu, est ce que le client ou l’imprimeur peut être tenu pour responsable ? Quel droit notamment appliqué aux plateformes d’impression comme Sculpteo ou Shapeways ou aux réseaux d’intermédiation comme 3DHubs ou Freelabster qui voient passer des centaines de fichiers chaque jour ?

Si l’on regarde les aspects de la propriété intellectuelle, Maître Hardouin explique que « ceux-ci sont régis par les conditions générales de la plateforme. Il est recommandé de prévoir une clause de garantie d’éviction à la fois pour la plateforme et pour le prestataire. En d’autres termes, l’utilisateur qui souhaite voir imprimer en 3D un objet en fournissant le fichier garantit tant au maker qu’à la plateforme que celui-ci ne fera pas l’objet d’aucune action en contrefaçon et que si tel était le cas, il endosserait la responsabilité. » L’utilisateur doit donc veiller à la licence du modèle choisi et respecter ses conditions, quel que soit le mode de fabrication de l’objet.

Si je suis une plateforme professionnelle

Bien que tous les designers n’utilisent pas de plateformes en ligne pour partager leurs créations, celles-ci sont de plus en plus utilisées et hébergent de nombreux modèles 3D. Quels sont alors les droits de la plateforme vis-à-vis de ces modèles ? Engage-t-elle sa responsabilité lorsqu’un modèle est dupliqué ? Est-elle en mesure d’aider le designer et l’utilisateur en cas de litige ? Nous avons eu l’occasion d’en parler avec Michael Weinberg du service en ligne Shapeways.

propriété intellectuelle dans l'impression 3D

Michael de Shapeways

Michael explique que la plateforme est encadrée par ce qu’il appelle le Safe Harbour : à chaque fois qu’un designer charge un modèle sur le site, il promet d’en détenir les droits. « Nous croyons en l’honnêteté des designers, jusqu’à preuve du contraire. » Si Shapeways reçoit une plainte comme quoi le modèle n’appartient pas au designer en question, Shapeways envoie un formulaire au plaignant qui, sous peine de parjure, déclare que les informations contenues dans sa plainte sont exactes. Si le formulaire est rempli et signé, le modèle est alors retiré de la plateforme. Le designer peut alors contester ce retrait s’il le souhaite et soumettre un contre-avis.

Dans ce type de situation, le travail de Shapeways n’est donc pas de savoir qui a raison et qui a tort mais plutôt de servir d’intermédiaire entre les deux parties et de faciliter la relation. Michael précise que ce genre de cas est assez rare – entre 1 000 et 2 000 par an ce qui reste relativement faible lorsque l’on sait que la plateforme compte 1 million de membres et 190 000 modèles.

Quel avenir pour la propriété intellectuelle dans l’impression 3D ?

La loi est un peu en retard en ce qui concerne la protection des innovations dans le secteur des nouvelles technologies même s’il existe quelques moyens pour enregistrer les modèles 3D et les protéger un tant soit peu. Nous sommes encore loin d’une protection du droit d’auteur spécialement appliquée à l’impression 3D. Principalement car le cadre légal actuel englobe déjà ces pratiques.

Certaines entreprises, comme Disney Studios, déposent toutefois des brevets ou imaginent des techniques pour lutter contre les contrefaçons imprimées en 3D qui inclurait une identification directement dans le modèle imprimé en 3D, invisible à l’œil nu et seulement détectable par le recours à un scanner 3D. Cela rendrait plus difficile la reproduction de jouets par exemple mais pas impossible. D’autres entreprises travaillent également sur la création de filigranes pour modèle 3D afin de protéger au mieux les créations des designers.

Il y a quelques mois en France, l’idée d’une taxe sur l’impression 3D, similaire à celle existant dans le domaine de l’audio-visuel, voyait le jour sous l’impulsion du sénateur Richard Yung. La taxe visait alors à rémunérer les créateurs 3D impactés par les copies illégales imprimées en 3D. Mais la taille du marché de l’impression 3D chez les particuliers et la réticence à freiner une technologie encore jeune venaient mettre fin au projet de loi…

propriété intellectuelle dans l'impression 3D

Disney Studios veut lutter contre la contrefaçon liée à l’impression 3D

Avez-vous déjà rencontré des litiges concernant la propriété intellectuelle dans l’impression 3D? Partagez votre expérience en commentaires de l’article ou avec les membres du forum 3Dnatives.

Un commentaire

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  1. Laurent C dit :

    Bonjour,
    Votre article est très intéressant.
    Pouvez-vous me confirmer un point s’il vous plait ?
    Si je fais un modèle de pièce en 3D, un engrenage par exemple, très spécifique et technique mais dépourvu de tout aspect artistique, puis que je le publie sur thingiverse sous une licence CC-NC (non commerciale), cela le protègera-t-il vraiment sachant que les droits d’auteur ne sont pas applicable sur un « objet fonctionnel » ?

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