Comment les technologies 3D peuvent-elles aider à résoudre les crimes ?
C’est un sujet qui fait sensation au cinéma et sur nos écrans : un meurtre est commis et la police mène l’enquête pour trouver le coupable. Les techniques les plus modernes sont utilisées et le coupable est généralement arrêté rapidement. Malheureusement, ce n’est pas seulement de la fiction. Chaque année, près d’un demi-million de personnes perdent la vie dans le monde à la suite d’un homicide volontaire. En 2023, le taux d’élucidation des homicides aux États-Unis était d’environ 50 %, mais ces taux varient selon les pays. En France par exemple, 69 % des homicides ont été élucidés en 2022. Il faut savoir que les technologies 3D jouent un rôle de plus en plus important dans le travail d’enquête et pour la police scientifique, contribuant généralement à son succès. Aujourd’hui, rares sont les homicides qui ne font pas l’objet d’une enquête à l’aide de reconstitutions 3D ou de techniques de scan 3D.
La criminalistique 3D est une composante essentielle de la criminalistique moderne. Elle comprend la reconstitution, l’analyse et le traitement d’actes criminels au moyen d’outils 3D et de décisions humaines. Ce domaine autonome est de plus en plus utilisé en droit pénal et pour élucider les crimes. Afin de mieux comprendre le rôle de la technologie 3D dans le travail d’enquête et l’analyse des preuves médico-légales, nous nous sommes entretenus avec plusieurs experts.
L’utilisation des technologies 3D dans la police scientifique
La technologie 3D permet de collecter et d’analyser des supports numériques, mais aussi des preuves physiques, notamment des objets imprimés. On parle ici de numérisation 3D et de fabrication additive.
Le rôle des scanners 3D
Les systèmes de mesure photogrammétriques sont utilisés dans les enquêtes depuis les années 30 et, depuis la fin des années 90, les systèmes de photogrammétrie à courte portée sont très répandus dans la police scientifique. Ils ouvrent de nouvelles possibilités, notamment pour la mesure des scènes de crime, mais aussi pour la détermination de la taille des criminels. Aujourd’hui, le procédé de balayage laser 3D est utilisé dans presque tous les pays. La police d’Etat de Hambourg (LKA) le confirme : « Les scanners 3D sont régulièrement utilisés dans le travail de la police pour expertiser ou comparer entre eux des lieux d’événements et/ou des objets physiques, y compris sous forme numérique ».
L’analyste en criminalistique 3D Eugene Liscio, qui a déjà résolu des cas au Canada, aux États-Unis et en Europe et qui enseigne à l’université de Toronto, ajoute : « Les quatre principales technologies de numérisation sont la photogrammétrie, la numérisation laser, les scanners à lumière structurée et, entre-temps, la numérisation basée sur des applications ».
La photogrammétrie crée des réseaux de textures photoréalistes et, combinée à des images de surface, des tomodensitogrammes et des IRM, elle permet d’obtenir une vue détaillée en 3D du corps. Les blessures peuvent ainsi être agrandies, analysées et comparées aux instruments du crime ou aux directions de tir. Parmi les scans 3D, on distingue le scan volumétrique et le scan de surface. La numérisation volumique permet de prendre des images à haute résolution et nécessite des logiciels spéciaux et des connaissances spécialisées pour créer des modèles 3D à partir des données. Le scan de surface est plus convivial, car seuls les détails de la surface sont capturés et des logiciels intégrés sont utilisés. Il est fiable pour l’analyse des blessures après le décès d’une personne et pour la méthode de marquage des terrains. La Landmarking Method utilise des points marquants dans des images ou des données pour créer des systèmes de référence précis et permettre ainsi des mesures et des comparaisons exactes. En outre, des données photogrammétriques sont collectées à l’aide de drones ou de caméras DSLR afin de créer un modèle 3D de la scène de crime. L’ensemble de la reconstitution peut être visualisé au moyen de la réalité virtuelle via des lunettes VR ou un espace de réalité virtuelle.
Le domaine 54.2 du Landeskriminalamt Nordrhein-Westfalen (LKA NRW), qui a pour mission de mesurer, de reconstruire et de visualiser les scènes de crime, explique : « L’utilisation de scanners laser 3D permet une conservation numérique tridimensionnelle des scènes de crime ainsi qu’une analyse et une reconstruction rétrospectives du déroulement des faits, par exemple le calcul des volumes, la détermination du champ de vision et de la direction de tir ainsi que la détermination de la taille des criminels ».
Le déroulement d’une enquête à l’aide de la numérisation 3D
Les enquêteurs utilisent des scanners 3D en les plaçant au-dessus de la trace de pas ou de pneus et en démarrant l’enregistrement. En même temps, un appareil photo fixé au scanner prend une photo. Quelques secondes plus tard, l’utilisateur peut voir un aperçu sur l’écran intégré afin de vérifier si l’image est nette. L’analyse détaillée se fait ensuite en laboratoire, où des trassologues examinent la longueur ou la profondeur du profil et comparent les traces avec d’autres scènes de crime.
Le rôle de l’impression 3D
L’impression 3D est utilisée dans le domaine médico-légal depuis le début des années 2010 pour reconstituer des preuves, le choix de la technologie d’impression dépendant de l’utilisation prévue. Les imprimantes résine sont idéales pour les modèles détaillés, tandis que la fusion sur lit de poudre peut être utilisée pour les pièces robustes. Toutefois, c’est l’impression 3D FDM qui est le plus souvent utilisée, car elle est peu coûteuse et polyvalente.
Le LKA de Rhénanie-du-Nord-Westphalie commente : « La technologie de l’impression 3D sert exclusivement d’outil technique pour la création de ce que l’on appelle des cibles (trackable targets), qui sont utilisées dans le cadre de la numérisation des mouvements de personnes ou d’objets ». Le LKA de Hambourg, qui ne dispose pas encore d’imprimante 3D, explique lui aussi que les impressions 3D peuvent être envisagées pour une expertise physique d’objets numériques.
Le potentiel des technologies 3D dans la police scientifique
La technologie 3D offre à la police scientifique et au travail d’enquête de meilleures possibilités d’analyse et donc la chance de trouver et d’arrêter le bon coupable. Le LKA de Rhénanie-du-Nord-Westphalie confirme que la technologie de numérisation 3D a modifié durablement le travail d’enquête, en particulier des commissions d’homicide, dans tout le pays.
Joe Mullins, artiste légiste renommé du National Center for Missing and Exploited Children, souligne lui aussi : « Avec les méthodes actuelles, nous pouvons traiter un scan du crâne avec l’autorité qui conserve la dépouille et imprimer le crâne sur place. Récemment, j’ai fait numériser un crâne de la Barbade, qui a ensuite été imprimé en 3D en Virginie et a fait l’objet d’un ajustement facial à New York. Cela n’aurait pas été possible il y a 20 ans ».
Grâce au développement des possibilités techniques et numériques, jusqu’à une technique de visualisation à l’aide de lunettes VR ou d’une cave VR, les enquêteurs peuvent effectuer une visite tridimensionnelle d’une scène de crime reconstituée. Des vues sous différentes perspectives sont ici accessibles, souligne le LKA NRW. Ils expliquent : « L’observateur ne se trouve donc plus dans le rôle de l’observateur extérieur, il est plutôt en mesure de pénétrer virtuellement sur la scène de crime et de s’immerger dans la représentation numérique et la reconstitution du déroulement du crime. L’intégration des données 3D les plus diverses permet une visualisation interactive des dossiers d’affaires et les connaissances ainsi acquises peuvent avoir une influence décisive sur l’évaluation des traces, des témoignages et des liens entre les faits, ce qui serait impossible si l’on n’adoptait pas cet angle de vue ».
Les scanners laser 3D permettent aux enquêteurs de visualiser le lieu du crime sur ordinateur même après l’avoir quitté et de se concerter. L’Office de la police criminelle confirme : « Cela ouvre la possibilité d’appréhender la scène de crime de manière réaliste, de se rendre sur les lieux du crime et de s’y déplacer sans avoir été auparavant sur le lieu réel de l’événement ». Cela permet aux enquêteurs et aux personnes impliquées, comme le tribunal, de visualiser simultanément la scène de crime virtuelle et d’en parler ensemble. La technologie permet ainsi de garder une vue d’ensemble de l’événement et d’identifier les angles d’impact de balles, même dans le cas de délits par balle ou d’accidents de voiture chaotiques.
De plus, la technologie permet de ne pas endommager les preuves lorsqu’elles doivent être transportées. La technologie est utile pour les reconstructions faciales, car les traditionnelles consistent à superposer de l’argile et du plâtre sur le crâne afin de le reconstituer. Ce processus est répété plusieurs fois, ce qui endommage le crâne. La technologie 3D élimine la nécessité de toucher le crâne et crée un modèle informatique dans lequel, à l’aide de programmes logiciels, la reconstruction en argile est imitée, une reconstruction virtuelle est réalisée et des répliques imprimées en 3D peuvent ensuite être produites. Même dans le domaine de la médecine légale, où les empreintes de chaussures ou de pneus sont généralement coulées dans du plâtre, une procédure longue qui détruit la trace, l’utilisation de la numérisation 3D peut aider à surmonter ces défis et à préserver les traces.
Pour Mullins, le plus grand avantage est que les originaux sont préservés : « Qu’il s’agisse d’un crâne ou d’une pièce à conviction importante, il n’y a pas de problème. Dans le domaine de l’art médico-légal, il est arrivé qu’un crâne soit perdu. La mise en place d’une procédure dans laquelle tous les crânes sont scannés, imprimés et photographiés sert de sauvegarde au cas où il arriverait quelque chose à l’original ».
Utilisation actuelle des technologies 3D dans le travail d’enquête
La technologie 3D trouve de nombreuses applications dans le travail d’enquête. Liscio explique que le travail médico-légal comprend trois composantes principales : la documentation, l’analyse et la visualisation. Dans ce contexte, l’impression 3D sert de produit de documentation et d’aide visuelle.
L’impression 3D est surtout utilisée pour reproduire des preuves, ce qui permet de préserver les preuves réelles. Ainsi, le doigt d’une victime peut être reconstruit en 3D pour déverrouiller des appareils techniques. Au tribunal, les reproductions imprimées en 3D, comme les crânes ou les armes, sont utiles pour illustrer clairement les blessures et le déroulement des faits. Liscio souligne : « Normalement, on n’apporte pas d’os au procès, mais on pourrait apporter une réplique. Par exemple, une arme peut être imprimée pour expliquer aux juges, aux jurés et aux autres enquêteurs qu’il s’agit de l’arme utilisée. Actuellement, la technologie 3D est utilisée pour démontrer le crime et aider les gens à le comprendre. Chaque personne apprend de différentes manières. Voir une image sur une photo, ça va, mais le fait d’avoir quelque chose dans les mains et de pouvoir le regarder, ça aide ». L’impression 3D est également utilisée comme outil pédagogique dans le domaine de la médecine légale, afin de fournir des représentations anatomiques au personnel médical.
Les technologies de numérisation 3D permettent aussi de reconstruire des scènes de crime entières afin de comprendre leur position et les objets qui s’y trouvent et de les illustrer visuellement. Le LKW NRW nous explique : « Dans le cadre de la documentation des scènes de crime, l’enregistrement des scènes de crime au moyen de scanners laser 3D est un moyen complémentaire et parfois fermement intégré dans le travail de la police sur les scènes de crime ». Le département des sciences et techniques criminelles du LKA de Hambourg utilise également des mesures réalisées au moyen de scanners 3D pour la représentation numérique et la reconstruction de lieux d’événements les plus divers.
Petit à petit, la technologie 3D est également utilisée dans le domaine de l’archéologie légale. Elle offre un grand potentiel dans ce domaine, car elle permet de représenter ce à quoi les objets pouvaient ressembler auparavant. Des recherches sont par exemple en cours pour reconstituer des os brûlés à l’aide de l’impression 3D.
L’utilisation de la technologie 3D dans le cadre d’enquêtes a permis de réaliser des progrès significatifs dans plusieurs cas à travers le monde. Un exemple remarquable s’est produit dans l’Ohio aux États-Unis, où le visage d’un crâne retrouvé a été reconstruit au moyen du programme Clay Tools, puis imprimé en 3D. Cela a permis aux enquêteurs de vérifier les identités et de faire avancer l’affaire. Un autre événement a été le tristement célèbre meurtre de la valise en 2015, pour lequel une combinaison de numérisation et d’impression 3D a été utilisée pour la première fois. La police des West Midlands a travaillé en étroite collaboration avec le groupe de fabrication de l’université de Warwick afin d’utiliser la technologie 3D pour analyser des fragments d’os carbonisés et déterminer qu’ils appartenaient à la valise examinée. Cela joue un rôle crucial dans l’identification des victimes.
La situation juridique : les répliques 3D au tribunal
Une étude menée par le Cranfield Forensic Institute a révélé que le taux de compréhension du langage technique utilisé en salle d’audience lors de la présentation de modèles imprimés en 3D s’est amélioré, passant à 94 %, contre 79 % pour les images photographiques. Pourtant, l’utilisation de la technologie 3D pour documenter les scènes de crime n’est pas encore encadrée par la loi. L’avocat Jens Ferner, qui s’occupe en tant qu’avocat spécialisé dans le droit informatique du droit d’auteur 3D et des développements autour de la technologie 3D, confirme : « Il n’existe pas de directives juridiques claires pour les enquêteurs publics ou privés, dans le sens où la manière dont la documentation doit être obligatoirement effectuée est réglementée. Sur le plan procédural, cette thématique est abordée au niveau de l’exploitation et de l’évaluation des preuves : une mauvaise documentation peut conduire à ce qu’on lui dénie une valeur probante, voire à ce qu’on lui interdise d’être exploitée. Dans ce contexte, certains standards en matière de documentation se sont développés chez les enquêteurs de l’État, mais ils ne sont pas prescrits par la loi ».
Les principaux défis
L’un des plus grands défis de la technologie 3D dans les travaux d’enquête est le facteur temps et coût. Liscio explique : « Il faut choisir le bon outil pour la tâche à accomplir. Parfois, cela signifie qu’il faut investir dans différents outils ou louer des scanners parce qu’on ne dispose pas des outils adéquats. Passer de la numérisation à un modèle d’impression 3D n’est pas chose facile. Entre les deux, il y a tout un travail et c’est souvent un défi, car on a affaire à des pièces très compliquées et délicates qui nécessitent beaucoup d’assistance ». Cela signifie qu’un enquêteur doit devenir un expert dans ce domaine et apprendre les nouvelles procédures de travail et l’utilisation des outils.
Le LKA NRW nous confirme la même chose : « La documentation d’une scène de crime au moyen d’un scanner laser 3D est une méthode qui prend beaucoup de temps et qui nécessite une coordination étroite avec les personnes travaillant en parallèle sur la scène de crime. De plus, l’utilisation de cette technologie génère de grandes quantités de données qui ne peuvent être traitées et visualisées que par une informatique et des logiciels performants ». Ils soulignent également que le temps nécessaire au traitement des données pour les évaluations, les reconstitutions de scènes de crime et les visualisations est justifié par rapport aux avantages que la technologie apporte au travail d’enquête. Le département spécialisé du LKA de Hambourg considère comme un défi le manque d’homogénéité des données et des formats des imprimantes disponibles sur le marché ainsi que la nécessité d’une grande capacité de stockage.
Les développements futurs
Avec le développement et la précision accrue de la technologie 3D, on s’attend à ce qu’elle soit de plus en plus utilisée dans les enquêtes. Liscio fait remarquer que l’impression 3D est connue dans le domaine médico-légal, mais qu’elle n’est pas encore très répandue, ce qui pourrait changer à mesure que les exigences de précision augmentent. Mullins est également convaincu que l’impression 3D sera utilisée plus fréquemment à l’avenir : « La technologie progresse si rapidement que l’impression 3D deviendra la norme pour soutenir les enquêtes. Elle continuera à contribuer à la résolution des affaires, mais à un rythme plus rapide ».
Malgré les possibilités et les progrès, il reste encore beaucoup à faire pour que la technologie 3D puisse soutenir le travail d’enquête dans tout son potentiel. Une étape importante serait ici la formation des enquêteurs par le biais de programmes de formation. En outre, des recherches continues sont nécessaires pour adapter la technologie aux exigences du travail d’enquête et pour faciliter la collaboration entre les techniciens, les juristes et les enquêteurs. Les technologies 3D ont le potentiel, à l’avenir et à long terme, de faciliter le travail d’enquête, de mettre les criminels derrière les barreaux et d’élucider les crimes avec plus de précision. Mais pour pouvoir réaliser cela, il faut continuer à poser les bases par la formation et la recherche.
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*Crédits photo de couverture : APA/Georg Hochmuth