Pourquoi l’impression 3D craint… et comment y remédier. Par Jeff Kowalski, Vice-président d’Autodesk
Autodesk propose tout une suite de logiciel de modélisation 3D, vient de rendre disponible à la vente sa propre imprimante 3D Ember et a créé un fond d’investissement doté de 100M$ pour financer les start-ups et les chercheurs qui souhaitent repousser les frontières des technologies d’impression 3D. Aujourd’hui, Jeff Kowalski, Vice-président sénior et Directeur de la Technologie d’Autodesk donne à 3DNatives son point de vue sur l’impression 3D. Alors qu’on pourrait s’attendre à un discours évangélisateur, Jeff Kowalski livre une vision pragmatique et assez critique de la situation actuelle. Mais il montre également que derrière toute problématique se cache des opportunités :
Pour l’heure, le souci avec l’impression 3D, c’est qu’elle… voyons voir… comment vous dire… craint un peu.
Comprenez-moi bien. Il y a plein de choses géniales autour de l’impression 3D. Elle permet de remédier à n’importe quel niveau de complexité de fabrication, elle offre un très bon niveau de précision et surtout, elle promet une fabrication personnalisée. Seul notre imaginaire peut alors nous brider dans la fabrication de nouveaux objets.
Pour autant, je ne pense pas que cela soit tout à fait vrai. Rappelez-vous : cette technologie était censée révolutionner le secteur de la production, mettre la créativité entre les mains de tout le monde, ébranler le modèle de production traditionnel ! Et enfin, on parlait de faire entrer une imprimante dans chaque foyer !
Toutefois, après tout ce temps, la plupart des personnes sont encore à gauche (lancement de la technologie) du Cycle du Hype (Gartner) de cette technologie, au pic des espérances exagérées liées à l’emballement médiatique, en route vers le gouffre des désillusions (les produits ne répondant pas aux espoirs).
Je n’ai pas renoncé pour autant. Je crois toujours en cette promesse, mais il est temps de dépasser le stade de la promesse et de faire décoller le marché de l’impression 3D.
Pour cela, voici mon top 5 des complaintes et revendications les plus courantes liées à la réalité actuelle du marché de l’impression 3D… et des propositions de solutions !
N°1 – Impression et qualité. Dans un certain sens, il s’agit d’un élément basique mais il existe de nombreux problèmes liés à la qualité de l’impression 3D :
Des pièces fragiles et stratifiées avec le FDM (impression par dépôt de matière fondue)
L’impression de basse résolution
Les matériaux
Pour être tout à fait juste, les matériaux sont définis par ce qui peut être extrudé, giclé ou fondu, mais pas en fonction de leur utilisation finale. A ce sujet, il existe pourtant des exemples de pluri-matériaux, soit généralement simplement deux matériaux en même temps. Pour résumer, nous nous posons des contraintes.
Je ne veux pas freiner mon imagination. Je veux une imprimante qui me permette de créer des matériaux qui n’existent pas en dehors de l’imprimante. Je veux celle qui crée des alliages métalliques directement dans son boîtier.
Voici un exemple qui devrait soit cristalliser le problème ou vous faire vous interroger sur mon âge : vous souvenez-vous de Shrinky Dinks ? (NDLR : un kit de création pour enfants très populaire aux Etats-Unis dans les années 80) Vous deviez dessiner votre modèle sur une feuille de « plastique dingue », le mettre au four pour le réduire, et puis… vous rendre compte que le résultat n’en valait pas vraiment la peine.
Voilà où je souhaite en venir : nous devons faire évoluer cet engouement autour de l’impression 3D, de passer d’un « Regarde, j’ai créé quelque chose ! » à « Regarde ce que j’ai créé ! » L’objet imprimé doit toujours être d’une qualité élevée et constante, utiliser des matériaux d’excellente qualité et surtout ne pouvoir être produit autrement.
N°2 – La technique d’impression n’est pas fiable. La complexité autour de l’impression en elle-même peut être décourageante. Elle implique de jongler avec trop de formats, de paramètres et de réglages mécaniques.
Vous devez probablement connaître cette blague : « Pourquoi tous les boîtiers d’imprimantes 3D sont ouverts ? Parce que comme ça, vous pouvez admirer votre impression en train de rater ! »
Il s’agit effectivement de voir comment l’impression se déroule mais c’est surtout pour pouvoir intervenir quand l’impression tourne mal.
Certaines personnes installent même des caméras pour surveiller leurs imprimantes ! Pouvez-vous vous imaginer, debout, en train de regarder si votre imprimante 2D fait bien son travail ? Bien sûr que non.
Il est temps de mettre fin à notre obsession autour des imprimantes et de l’impression 3D, et de nous concentrer sur ce qui est imprimé en 3D. Qui se soucie de savoir si on a une super imprimante 3D et si on s’amuse bien pendant l’impression. Moi, ce qui m’intéresse, c’est l’impression finale !
Je rêve du jour où on ne pourra plus voir dans les imprimantes 3D et que le circuit qui va de la conception à la fabrication finale sera plus clair. Lorsque la technique sera vraiment fiable et de grande qualité, l’impression 3D connaîtra alors le fabuleux destin d’une technologie réussie : une omniprésence et une invisibilité. Un simple boîtier noir, ennuyeux.
Le but ultime serait d’aboutir à une « impression en un clic » qui soit fiable. Pour y parvenir, nous avons besoin de l’équivalent d’un PostScript et d’un LaserWriter qui ont été les catalyseurs des outils de publication fiables. Voilà ce qu’il va falloir pour obtenir une réelle adhésion à cette « révolution ».
N°3 – Le workflow. Le workflow est ancien et démodé, et se base toujours sur une approche linéaire classique :
- L’humain : la conception
- L’ordinateur : la documentation et l’analyse
Le workflow lié à l’impression 3D ne profite pas du design génératif ou d’autres innovations récentes de ce type. Avec le workflow actuel, les designers doivent d’abord faire leurs dessins puis le robot doit à nouveau dessiner dans l’imprimante 3D.
Cela signifie donc que chacun dessine toujours les mêmes pièces et espère en quelque sorte que l’impression 3D finale sera unique. Aussi longtemps que leurs compétences en dessin seront dans les clous, ils n’exploiteront pas toute la puissance de l’impression 3D.
Il serait pourtant préférable de déléguer à l’ordinateur une plus grande partie du design. En fait, si les designers avaient adopté cet état d’esprit, ils pourraient permettre au logiciel de proposer des conceptions bien plus élaborées que ce qu’ils pourraient dessiner.
Avec cette façon de penser un peu ancienne où les designers doivent faire tout le travail, le résultat de leurs efforts sera toujours assujetti à des contraintes de temps, de finances et de patience. Ils se cantonnent souvent à choisir entre une ou deux options, puis impriment tout simplement la meilleure des deux, et non pas le meilleur design possible.
Ayons un état d’esprit différent : les designers doivent arrêter d’envisager leurs ordinateurs comme de simples outils de dessin. Ils ne sont pas uniquement là pour l’exécution et devraient voir élargir leur domaine d’exploitation.
N°4 – Ce n’est pas la bonne cible. En quatrième position des revendications : les efforts autour de l’impression 3D n’ont pas été concentrés sur la bonne cible.
Chacun s’est satisfait de la création de prototypes, de pièces de rechange et de bibelots, sans se concentrer sur les pièces finales et sur la création de nouvelles solutions pour résoudre des défis bien plus importants.
Pour y parvenir, il faut considérer l’impression 3D dans son ensemble, à travers quatre facettes de la fabrication additive : les pièces, le système, les matériaux et les processus.
Dans d’autres procédés de fabrication, vous pourriez dissocier ces quatre éléments et les optimiser séparément. Mais dans l’impression 3D, ils sont tous liés et ont une incidence sur chaque d’entre eux. La meilleure façon d’effectuer une fonction d’assemblage se fait dans les matériaux. Les ressors, les leviers, les charnières et les amortisseurs peuvent être obtenus, non pas en tant qu’éléments individuels, mais à travers des matériaux intelligents. Comprendre la relation entre les éléments en interaction est la clé.
Imaginez un moteur de voiture de course. Un ingénieur propose d’imprimer en 3D les têtes de soupape en utilisant un astucieux maillage léger. Cela coûterait plus cher que l’habituelle pièce fraisée. Cela semble donc être une mauvaise idée jusqu’à ce que l’ingénieur se rende compte qu’une tête de soupape plus légère veut dire un ressort de rappel plus petit, soit une tige de valve plus courte et moins d’usure sur la courroie de transmission. Un matériau moins coûteux peut donc être utilisé, l’ensemble du moteur est alors plus petit et le compartiment entier est rétréci. Au final, le moteur est donc moins cher et plus performant.
L’ingénieur aurait pu rater cette opportunité s’il n’avait uniquement recherché qu’à réaliser des améliorations avec l’impression 3D. Ce que je veux donc dire quand je parle d’erreur liée à la cible, c’est que les designers devraient viser plus haut et penser plus loin.
N°5 – Le marché de l’impression 3D : il est mature avant l’heure. Les fabricants d’imprimantes 3D semblent vouloir consolider les normes de façon prématurée et freiner l’innovation. Pourtant, le marché de l’impression 3D est encore « précocement mature ».
Les fabricants se trompent malheureusement sur la maturité en avance de phase de ce marché. Les clients actuels sont des amateurs et des passionnés, mais pas en grande majorité. Pourtant, les fabricants suivent un modèle économique qui considère qu’il y aurait déjà une imprimante dans chaque foyer.
Pour autant, aussi fou que cela puisse sembler, nous en sommes encore qu’à la première étape de développement de ce marché où l’innovation ouverte doit toujours prédominer. Au lieu de cela, on peut voir des fabricants placer des puces d’identification dans des cartouches pour qu’elles ne puissent être rechargées ou utilisées ailleurs.
En agissant ainsi, vous vous concentrez sur les ventes de matériels, puis vous commencez à agir étrangement comme imprimer des guides d’aide en grand nombre au lieu de répondre à la demande des clients qui est justement qu’ils ne souhaitent pas de guides !
Penser ainsi conduit à une impasse car on place le business avant le client. Tout le monde conviendra que le marché n’est pour l’instant pas innovant.
Voici donc les cinq complaintes récurrentes et des remèdes potentiels qu’on pourrait résumer en une phrase : les concepteurs et designers doivent résoudre des problèmes avec de nouvelles solutions, moins d’effort, plus de résultats, davantage d’expression, une fiabilité et une confiance accrue, et enfin, une bonne qualité.
Place désormais à l’innovation et à la prochaine étape sur le marché de l’impression 3D !
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Intéressant d’avoir un point de vue différent dans le concert de louanges qui entoure cette technologie.
Plutôt d’accord avec ce qui ce dit. Pour l’instant l’impression 3D n’a pas changé nos vies. Toutefois les technologies qui en découleront le feront certainement. Pour moi le déclic n’a pas encore eu lieu et la technologie est encore sous exploitée. On pourrait faire le parallèle avec les débuts d’internet avant que les géants comme google, amazon, facebook etc. exploitent réellement le potentiel de la toile.
Ravi d’entendre cet avis que je partage et déploie chaque jour.
Un point de vue réaliste et intéressant. En particulier au sujet des grandes compagnies désireuses de brider l’impression 3d par des cartouches pucées…
je viens de voir un documentaire sur l’impression 3D ce que j’en retiens ? je n’achèterais jamais la marque « makerbot » ou je sais plus quoi … c’est a cause de sociétés comme celle ci que l’innovation est ralentie..
Bonjour Max, pourrais tu développer ton avis concernant le frein que MakerBot impose au marché et à ses clients ? Je serais intéressé d’en savoir plus sur ton point de vue. Merci
est-ce que tu as vu le documentaire « print the legend » ? l’un des fondateur de makerbot maintenant CEO a retourné sa veste en profitant d’un soit disant concept d’imprimante « open source » a ses débuts puis et passé a une version propriétaire de sa technologie en ayant bien sur profité gratuitement de l’aide de développeurs du monde entier…. pour ensuite de tourner vers un modèle à la Apple tout le monde connait pas besoin de faire un dessin… c’est beau ça marche mais c’est fermé et c’est l’obsolescence programmée …. enfin je te recommande ce documentaire si tu ne l’a pas encore vu.. c’est très intéressant
Merci Max pour ces détails. J’irais voir ce document
je trouves votre analyse très juste !
Intéressant mais je ne suis pas d’accord sur tout ce qu’il dit!
Le paragraphe 1 faut surtout pour les machines FDM ou à bas coûts quelque soit la technologie. Or il existe des machines très précises mais à des coûts élevés. Je le rejoint alors sur la question « coût » abordé dans le point 5. En plus des coûts matériaux exorbitants, certains coûts machines sont exorbitants… Certains brevets lorsqu’ils tombent dans le domaine publique font bouger le marché vers des modèles plus cohérents. A venir sur le métal…
Le paragraphe 2 est un paradigme. Soit on imprime en un clic et les puristes crient aux scandales car les machines sont fermées. Soit oui les multi paramètres complexifie la maitrise de la fabrication, mais un minimum de connaissance est nécessaire pour maitriser des procédés qui restent complexe (frittage métallique). Il y a surtout peu de formations, pour beaucoup de gens qui se lancent dans ce domaine. On veut faire sans apprendre!
Dans le paragraphe 3, il se tire une balle dans le pied. Autodesk commercialise des solutions logicielles, alors pourquoi ils n’ont pas sorties des solutions répondant à ce paragraphe.
Je suis d’accord avec le paragraphe 4, mais cela revient à ma conclusion du paragraphe 2. Il faut former les gens aux bons usages de la conception, de la conception orientée fabrication additive. Sans formation, sans compétences en conception, en matériaux, il est très compliqué de faire évoluer ce qu’il met en avant sans formation mécanique saine.
Pour finir, je suis d’accord sur le fait que le marché n’est pas mur. Il évoque une cause, les approches business des entreprises. L’innovation est certes la clé de tout cela, mais le buisness va générer de l’innovation. Le gros problème non évoqué c’est les vitesses de fabrication. L’essor de ces technologies passent par des gains de productivité de 5 à 10. L’innovation clé est en ce point de développer des procédés plus rapides, et des matériaux plus performants.
Yann MACE