Conseils d’experts : quelles réponses la fabrication additive peut-elle apporter en temps de crise ?
Le COVID-19 a bouleversé l’économie mondiale et nos façons de travailler, nous obligeant à repenser nos chaînes de valeur, nos échanges, notre façon de produire et de communiquer. Le secteur de la fabrication additive n’est pas une exception si ce n’est que le marché a très vite réagi pour apporter des solutions médicales concrètes face à l’urgence, au plus près des besoins. La technologie permet en effet une production locale, des itérations plus rapides et des délais de fabrication raccourcis ; face à l’urgence, ce sont des arguments clés. Si la fabrication additive a prouvé son efficacité pendant la crise, il est intéressant de se demander ce qu’il se passera après, dans un retour progressif à la normale : pourra-t-elle conserver une place aussi importante dans nos systèmes de fabrication ? Cette crise mondiale a-t-elle permis de changer certaines mentalités ? Quels défis restent-ils à résoudre et quelles leçons pouvons-nous tirer ?
Afin de répondre à ces questions, nous avons interrogé trois experts du secteur qui nous ont expliqué ce que cette crise avait révélé pour eux et comment ils voyaient le futur de la fabrication additive. Sumeet Jain est Directeur Général 3D Printing Solutions by Arkema, l’activité dédiée à la fabrication additive du groupe français. Celui-ci a développé une offre polymères dédié à l’impression 3D, que ce soit pour des procédés d’extrusion, de frittage sur lit de poudre ou de photopolymérisation. Notre deuxième expert est Mark Seaton, EVP of Global Sales chez Link3D, une plate-forme logicielle qui permet aux entreprises de rationaliser leurs flux de fabrication additive. Enfin, Thierry Rayna est professeur de management de l’innovation à l’Ecole Polytechnique et s’intéresse principalement à l’impact des technologies numériques sur l’innovation et comment elles affectent nos business modèles.
La fabrication additive face au COVID-19
Ces derniers mois ont été éprouvants pour l’ensemble de notre société, à tous points de vue. On a toutefois assisté à une grande solidarité et le marché de la fabrication additive en est un bel exemple. Tous les acteurs se sont mobilisés pour produire des équipements de protection individuelle, des respirateurs ou autres solutions médicales pour protéger et lutter contre la propagation du virus. Sumeet Jain explique : « Alors que notre chaîne d’approvisionnement mondiale d’équipements essentiels était mise à rude épreuve, il était extrêmement gratifiant de voir comment tous les acteurs de la fabrication additive ont travaillé ensemble et apporté leur aide en utilisant les technologies d’impression 3D. Arkema a aidé la communauté de diverses manières : les matériaux fabriqués par notre Groupe ont été utilisés par des partenaires pour la production d’écouvillons, de visières de protection, de pièces de ventilateurs et d’appareils respiratoires. » La fabrication additive a permis de relever un certain nombre de défis, dont celui de la rupture de nos circuits d’approvisionnement mondiales.
Un avis partagé par Mark Seaton de Link3D qui nous a confié : « Alors que le COVID-19 a perturbé les chaînes d’approvisionnement à l’échelle mondiale, il a été étonnant de voir à quel point la fabrication additive s’est intensifiée. Elle est conçue pour aider les organisations à optimiser leurs chaînes de valeur et à renforcer la production distribuée. » La plupart des sociétés n’ont pas pu compter sur leur réseau de fournisseurs traditionnels, il a donc fallu trouver une alternative et c’est là que l’impression 3D a du sens : c’est une méthode de production plus agile qui réduit globalement tous les délais. Sumeet Jain le confirme : « La technologie de l’impression 3D a démontré toute sa valeur autour de la fabrication numérique et sa capacité à répondre aux besoins de production à la demande. Les entreprises d’impression 3D de tout l’écosystème ont brisé les frontières traditionnelles et se sont associées ouvertement pour accélérer la qualification des EPI et des applications de test. La capacité de l’impression 3D à itérer des centaines de conceptions à court terme a été un élément clé de différenciation pour développer des solutions viables répondant à une demande imprévue. »
Pour Thierry Rayna, les technologies 3D ont surtout permis d’adapter des objets déjà existants en solutions médicales comme les fameux masques Decathlon ; il parle de repurposing : « Ce qui est finalement le plus frappant c’est le fait que l’impression 3D ait pu adapter des choses qui existaient déjà. Mais pour moi, le plus intéressant, c’est ce qui va se passer après. Est-ce que la technologie sera aussi utile et présente quand le commerce mondial va redémarrer, en supposant qu’il reprenne comme avant ? »
« L’après COVID-19 » : quelle place la fabrication additive peut-elle occuper ?
Si la fabrication additive a montré tout son intérêt pendant la crise qui a révélé les limites de nos chaînes d’approvisionnement, qu’en est-il pour après ? La plupart des industriels utilisent la technologie mais elle reste un marché de niche à l’échelle globale de la fabrication : comment s’assurer qu’elle devienne incontournable pour notre industrie ? Selon Sumeet d’Arkema, la technologie doit encore surmonter quelques défis avant d’être adoptée à l’échelle mondiale : « Le principal défi qu’il reste à relever est la normalisation et la fiabilité des produits fabriqués à l’aide de l’impression 3D. » Davantage de certifications et normes doivent être émises pour satisfaire les exigences des industriels et passer à une dynamique de production en série. Les erreurs liées à l’impression sont encore trop nombreuses et les étapes de préparation et post-traitement encore trop lourdes. Le marché tend toutefois à développer de plus en plus de solutions d’automatisation et de gestion des flux pour se rapprocher le plus possible d’un système répétable et fiable.
Mark de Link3D complète : « Pour mener à bien cette transformation, nous avons besoin de décisions automatisées et prédictives pour une optimisation continue des processus. Nous devons saisir et donner un sens à toutes les données produites, de la conception à la livraison des pièces, afin de maintenir un niveau de qualité standard et constant des pièces produites. »
Pour Thierry Rayna, il s’agit surtout d’observer si les changements causés par la crise actuelle sont transitoires ou s’ils sont amenés à durer : le commerce mondial ayant connu des frictions, l’impression 3D est devenue rentable pour beaucoup d’applications, que ce soit en termes de coûts mais surtout de temps. Du coup, cette situation où les échanges commerciaux sont réduits a favorisé le recours à l’impression 3D. Or, quand on achète une imprimante 3D, on veut l’amortir donc fabriquer le plus possible : « On va produire des pièces simplement parce qu’on s’est équipé, ce qui va baisser le coût d’acquisition de la machine. Donc au moins dans une période transitoire, on aura tendance à utiliser l’impression 3D, pour des choses qu’on ne faisait pas avant». Cela entraîne un autre facteur : comme les entreprises utilisent davantage l’impression 3D, elles auront moins recours au commerce international ce qui entraînera une hausse subite des coûts de transport mondiaux. Ce cercle vicieux est finalement vertueux pour la fabrication additive car si ces derniers montent, cela aura tendance à booster l’utilisation de l’impression 3D sur le long terme puisqu’on emploiera encore moins les réseaux de transport mondiaux.
Fabrication additive et contexte incertain
Quelle sera la réponse de l’impression 3D dans une situation économique incertaine, où personne ne peut rien prévoir ? Il n’est pas dit que l’après-COVID ressemble au monde que nous connaissions avant, alors quelles solutions la fabrication additive peut-elle apporter ? Si elle comporte de nombreux avantages en tant de crise – production locale, réactivité, agilité, itérations rapides, etc., elle vient également réduire le risque dans un contexte incertain post-crise : un utilisateur peut quasiment tout faire avec sa machine, quoi qu’il arrive, elle pourra tourner et ce, pour de nombreuses applications. « Elle réduit le risque parce quoi qu’il se passe, cette capacité de production dans laquelle on a investi pourra être utilisée. Son rendement est finalement supérieur dans ce contexte incertain où on est incapable de calculer des ROI. »
Les gouvernements ont également un rôle clé à jouer. En réponse au manque de visibilité et aux questions de dépendance, ils devraient booster leurs capacités de production locales et ouvertes. C’est là où l’impression 3D apporte une réponse car elle est beaucoup plus flexible, elle peut s’adapter. Thierry Rayna conclut : « Cet après COVID-19 n’implique pas forcément que davantage d’entreprises vont s’équiper en imprimante 3D mais que davantage y auront recours. Cela implique une hausse des prestataires de services : les plus traditionnels vont investir dans les technologies 3D. Je pense finalement que l’après-COVID va augmenter l’utilisation de la fabrication additive, et j’espère sur le long terme. »
Une chose est sûre, on suivra de près l’évolution de la fabrication additive dans ce contexte post-crise et les réponses qu’elle peut apporter à nos industries. N’hésitez pas à partager votre avis dans les commentaires de l’article ou avec les membres du forum 3Dnatives. Retrouvez toutes nos vidéos sur notre chaîne YouTube ou suivez-nous sur Facebook ou Twitter !