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#Startup3D : sallea imprime en 3D des structures comestibles pour favoriser l’agriculture cellulaire

Manger régulièrement de la viande et du poisson a des conséquences écologiques importantes. Les monocultures, la surpêche et l’élevage intensif n’en sont que quelques-unes. Pour y remédier, nous avons pu observer quelques approches innovantes au cours de la dernière décennie, par exemple la viande cultivée, de plus en plus souvent issue d’une imprimante 3D. L’agriculture cellulaire constitue une alternative à l’élevage et peut réduire les émissions de 90 % par rapport à la production de viande bovine. La tendance à ce type d’agriculture est en hausse et la popularité des produits de viande et de poisson cultivés ne cesse de croître. Soutenir les producteurs de ce type d’aliments est l’objectif de sallea. La startup, fondée en novembre 2023, a développé d’échaffaudages innovants imprimés en 3D qui constituent la base de la culture de produits à base de viande et de poisson de n’importe quelle forme et au profil nutritionnel spécifique. De cette manière, il est possible de créer des produits durables sans souffrance animale. Nous nous sommes entretenus avec Nicole Kleger, CTO et cofondatrice de sallea, pour en savoir plus sur les débuts de la startup, sa technologie innovante et ses objectifs.

3DN : Pourriez-vous vous présenter brièvement ?

Je m’appelle Nicole Kleger et je suis cofondatrice et CTO de sallea, une spin-off de l’ETH Zurich. À l’origine, j’ai étudié les sciences des matériaux à l’EPF de Zurich, puis j’ai également obtenu un doctorat à l’EPF. Chez sallea, je suis responsable de tout ce qui a trait à la technologie. Cela comprend le développement de nos produits, la gestion de projets en interne et avec des collaborateurs externes, l’exploration de nouvelles technologies, la stratégie IP, ainsi que l’élaboration de la stratégie pour les prochaines étapes technologiques de sallea.

Dr. Nicole Kleger, CTO et cofondatrice de sallea. (crédits photo : sallea AG)

J’ai découvert l’impression 3D parce que j’ai toujours aimé avoir des produits tangibles dans mes recherches c’est-à-dire quelque chose que l’on peut voir à l’œil nu. L’impression 3D m’a donc fasciné dès le début de mes études, car elle permet non seulement de fabriquer rapidement quelque chose de concret, mais aussi de produire des produits très esthétiques. Au cours de mes études, j’ai également pris conscience des avantages techniques exceptionnels de l’impression 3D, à condition qu’elle soit utilisée dans le bon contexte. J’ai pu réaliser un premier travail de projet avec le professeur André Studart pendant mes études de master et j’ai ainsi pu pour la première fois vraiment « jouer » avec une imprimante 3D.

En tant que spécialiste matériaux, je me suis rendue compte que l’une des principales limites de l’impression 3D était le choix limité de ces derniers. Il est certes de plus en plus important, mais l’impression 3D a du mal à s’imposer, notamment dans les applications médicales ou alimentaires, où les procédures d’autorisation sont très rigides. Nous avons donc cherché un moyen de permettre à des matériaux non imprimables d’accéder à des structures 3D complexes. C’est ainsi qu’est née l’idée d’un procédé indirect, via des moules hydrosolubles imprimés en 3D à partir de sel de cuisine. J’ai fait les premiers essais en 2016, pendant mon travail de master. Le magnésium, un métal très réactif mais qui recèle un grand potentiel pour les applications médicales, a servi de matériau modèle. Avec ma cofondatrice Simona Fehlmann, nous avons développé sur cette base la technologie qui constitue désormais le cœur de sallea.

Echantillon de protéines utilisé pour les tests cellulaires (crédits photo : sallea AG)

3DN : Comment la société sallea a-t-elle été créée et comment utilisez-vous l’impression 3D ?

Pendant ma thèse de doctorat, je me suis penchée de manière approfondie sur l’optimisation de structures tridimensionnelles lattices hautement poreuses. Je me suis concentrée sur leurs propriétés mécaniques, sur l’optimisation de la croissance cellulaire, mais aussi sur le développement de nouvelles méthodes d’impression 3D pour la fabrication de telles structures. Au cours de la dernière année de ma thèse, Simona Fehlmann s’est jointe à la recherche et nous avons continué à construire cette technologie innovante. À la fin de ma thèse, nous disposions d’une formidable plateforme technologique qui ouvrait l’accès à l’impression 3D à des matériaux non imprimables.

Depuis 2016, nous avons modifié et optimisé le processus, de sorte que nous pouvons aujourd’hui fabriquer des structures très filigranes et complexes à partir de matériaux qui ne seraient pas imprimables directement ou seulement avec une résolution très limitée. Nous nous concentrons aujourd’hui sur des applications dans le domaine alimentaire, ou plus précisément, nous fabriquons des structures optimisées à partir de protéines et de polysaccharides comestibles pour l’agriculture cellulaire.

Lors d’une analyse de marché approfondie, nous avons découvert les obstacles auxquels la production de viande et de poisson cultivés est actuellement confrontée. En même temps, nous voyons dans notre technologie un énorme potentiel pour minimiser ces obstacles et ainsi faire progresser l’agriculture cellulaire. Nous avons donc décidé de ne pas laisser la technologie disparaître dans un tiroir, mais de fonder sallea et de créer ainsi un maximum d’avantages pour la sécurité alimentaire et l’environnement. Mais il manquait encore à notre équipe de fondatrices quelqu’un qui ait l’esprit d’entreprise. C’est ainsi qu’Anna Bünter nous a rejoints et a complété notre trio de choc.

De gauche à droite : Nicole Kleger, Anna Bünter et Simona Fehlmann. (crédits photo : sallea AG)

3DN : Comment fonctionne le processus d’impression et quels sont les matériaux compatibles ?

Nos imprimantes n’impriment que du sel de cuisine, le matériau de nos templates ou de nos gabarits. Nous coulons ensuite les gabarits avec différents matériaux qui ne peuvent être imprimés que difficilement ou en basse résolution. Finalement, nous dissolvons le sel de cuisine et il reste le matériau moulé dans la géométrie souhaitée. Nous nous concentrons principalement sur les matériaux comestibles pour l’agriculture cellulaire. Il s’agit notamment des protéines végétales et des polysaccharides.

Mais cette technologie peut en principe être utilisée pour de nombreux autres matériaux. Nous avons ainsi déjà formé des thermoplastiques (PCL, PS, PP, etc.), du silicone, mais aussi des métaux (aluminium, magnésium). Avec quelques petites astuces, le cuivre fonctionne également.

Nicole Kleger et Simona Fehlmann ont développé ensemble la technologie de sallea. (crédits photo : sallea AG)

3DN : Quel est l’avantage d’imprimer des échafaudages comestibles et non pas directement des cellules de viande comme c’est le cas avec d’autres procédés ?

Comme nous l’avons déjà mentionné, de nombreux matériaux sont difficilement imprimables. C’est également le cas des matériaux contenant des cellules. L’impression directe de cellules, également connue sous le nom de bio-impression, est surtout utilisée dans le cadre universitaire. Comme l’imprimabilité dépend ici surtout de la rhéologie, les matériaux les plus divers peuvent être imprimés indépendamment de leur chimie – c’est aussi le cas des cellules. Toutefois, ces conditions rhéologiques constituent un obstacle à l’utilisation de la bio-impression pour la viande cultivée. Pour obtenir une impression stable, il faut soit imprimer dans un lit liquide, soit que l’encre d’impression ait une viscosité et une élasticité suffisamment élevées pour rester en forme après l’impression. Cela augmente les forces de cisaillement pendant l’impression, ce qui a un effet négatif sur la viabilité des cellules. Pour y remédier, on réduit la vitesse d’impression ou on minimise la densité des cellules, ce qui augmente toutefois les coûts.

Un autre défi de la bio-impression est la texture des pièces imprimées. Actuellement, la proportion de cellules dans le produit final est relativement faible afin de maîtriser les coûts. La matrice doit donc contribuer à la texture du produit cultivé. Dans le cas de la bio-impression, il s’agit souvent d’hydrogels dont la texture ressemble plus à celle d’un ourson en gelée qu’à celle d’un morceau de viande.

Viande imprimée en 3D à partir de cellules cultivées par bio-impression 3D (crédits photo : MeaTech/Steakholder Foods)

Dans l’ensemble, la bio-impression a certainement un grand potentiel, mais elle se heurte encore actuellement à plusieurs difficultés. C’est pourquoi nous nous sommes concentrés sur notre approche indirecte. Nous structurons les échafaudages comestibles (appelées scaffolds) à l’aide de moules hydrosolubles imprimés en 3D. Nous pouvons ainsi découpler complètement le matériau final du processus d’impression.

3DN : Quels ont été vos défis en tant qu’équipe féminine et les plus grandes étapes de sallea ? Quels sont les prochains grands objectifs ?

En tant que diplômées de l’ETH, Simona et moi sommes habituées à être l’une des rares femmes dans une industrie plutôt masculine. Il en va de même pour notre troisième cofondatrice, Anna Bünter : elle a étudié la finance à la HSG. L’écosystème des startups est encore très dominé par les hommes. Il manque de bons exemples et, dans une certaine mesure, on se sent moins concerné en tant que femme. De ce fait, beaucoup de femmes se laissent décourager et beaucoup de bonnes idées se perdent. Nous avons nous-mêmes fait jusqu’à présent des expériences presque exclusivement positives et souhaitons donc encourager d’autres femmes à franchir le pas dans cet écosystème plein d’énergie, innovant et incroyablement instructif.

Les trois femmes de l’équipe sallea (crédits photo : sallea AG)

Nous avons déjà remporté des succès importants sur notre parcours. Il s’agit notamment du MVP (minimum viable product, publication d’un produit dans sa fonctionnalité minimale possible) des échafaudages comestibles, du tour de financement de 2.6 millions de dollars en octobre 2024 et la mise en place d’une équipe interdisciplinaire de six personnes à plein temps. Notre MVP est prêt et nous en sommes maintenant aux premières phases de test avec des clients potentiels. Les prochaines étapes comprennent le développement d’un produit final avec un client spécialisé dans la culture de la viande ou du poisson. Nous travaillons également sur la technologie d’intégration afin de pouvoir intégrer le plus facilement possible les scaffolds dans la chaîne de création de valeur existante de nos clients. Pour ce faire, nous allons faire passer notre équipe à environ 11 ETP d’ici 2026, et accueillir chez sallea des talents ayant une formation et une expérience dans les domaines des sciences alimentaires, de la biotechnologie, des sciences des matériaux et de l’économie.

3DN : Un dernier mot pour nos lecteurs ?

Avec le choix toujours plus grand d’imprimantes pour la fabrication, la technologie va également s’installer dans le secteur alimentaire. Mais comme pour tous les domaines d’application, il faut bien analyser dans quels cas l’impression 3D apporte vraiment un avantage. Dans un avenir proche, il est peu probable que nous ne consommions plus que des aliments imprimés en 3D – parce que la production conventionnelle est toujours beaucoup plus avantageuse et que l’impression 3D n’apporte aucune valeur ajoutée. Dans des applications spécifiques – que ce soit par exemple pour des aliments spéciaux imprimés pour les enfants, des expériences gustatives inédites grâce à des aliments spécialement combinés, ou de nouvelles catégories de produits – l’impression 3D apportera toutefois un avantage évident à notre système alimentaire. C’est également le cas dans le domaine de l’agriculture cellulaire. Si vous souhaitez en savoir plus sur sallea, cliquez ICI.

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Mélanie W.

Diplômée de l'Université Paris Dauphine, je suis passionnée par l'écriture et la communication. J'aime découvrir toutes les nouveautés technologiques de notre société digitale et aime les partager. Je considère l'impression 3D comme une avancée technologique majeure touchant la majorité des secteurs. C'est d'ailleurs ce qui fait toute sa richesse.

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Mélanie W.

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