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Conseils d’experts : comment imprimer les matériaux d’impression 3D hautes performances (PAEK, PEI…) ?

Dans le secteur de la fabrication additive, on observe depuis quelques années un vrai travail de recherche sur les matériaux, en particulier les polymères qui suscitent un vif intérêt. Parmi ceux-ci, on retrouve les thermoplastiques hautes performances, plus connus sous leurs acronymes PEEK, PEKK et PEI (ou ULTEM) – on commence à voir se développer d’autres matériaux comme le PPSU ou le PVDF. Ces matériaux plus techniques intéressent de plus en plus d’industriels de part leurs propriétés mécaniques élevées ; certains peuvent même être chargés en fibre de carbone, de verre, conférant encore plus de propriétés intéressantes.  Même si leurs avantages sont nombreux, il faut garder à l’esprit qu’ils sont plus difficiles à imprimer et doivent répondre à des critères exigeants. C’est pourquoi nous avons interrogé 3 experts du secteur pour en savoir plus sur cette famille de matériaux : quels sont leurs caractéristiques, comment les utiliser, pour quelles applications, etc. Nos experts vous donnent des conseils pour mieux les imprimer et éviter certaines erreurs ! Nous nous intéresserons uniquement à la technologie FDM aujourd’hui – les matériaux hautes performances peuvent aussi être imprimés via la technologie SLS.

Dr. Abraham Avalos est le Responsable scientifique de AON3D, fabricant canadien d’imprimantes 3D hautes performances. Il dirige la recherche sur la fabrication additive, après avoir réalisé un doctorat sur la synthèse des polymères pour des applications de biodétection. Benjamin Devic est le Responsable du pôle ingénierie chez ALSIMA : il accompagne les industriels dans leurs choix technologiques (machine et matière) pour répondre précisément à leurs applications. Enfin, Nicolas Morand est le Responsable RDI & Industrialisation Kimya chez ARMOR : il a pour mission la conception et la production de leurs matériaux d’impression 3D, notamment une gamme de matériaux hautes performances.

Dr. Abraham Avalos
Benjamin Devic
Nicolas Morand

Les matériaux d’impression 3D hautes performances : quels avantages pour l’industrie ?

La famille des PAEK (PEEK, PEKK) et les PEI présentent un certain nombre d’avantages qui pourraient être regroupés en trois catégories : de bonnes propriétés thermiques, des caractéristiques mécaniques élevées et enfin un ensemble de résistances variées (solvants, acides, etc.).

Nos trois experts s’accordent en effet à dire que la résistance thermique est l’un des bénéfices apportés par ces thermoplastiques. Le Dr. Avalos explique : “Résister à des conditions de température extrêmes est une nécessité pour certaines industries – les  thermoplastiques hautes performances permettent cela. Le PEEK, par exemple, offre une température d’usage supérieure à 240 ° C et maintient sa rigidité jusqu’à 170 ° C.” Le secteur automobile n’est pas insensible à cette caractéristique comme nous l’explique Nicolas Morand : “Le secteur automobile est également demandeur car les matériaux offrent une bonne combinaison entre dureté, durabilité et résistance thermique.” On peut alors imaginer des pièces imprimées en 3D comme des enjoliveurs, des joints, des anneaux de support, etc. Benjamin Devic précise même que : “Les matières haute température peuvent même, dans certains cas, remplacer des pièces jusqu’ici fabriquées en métal.”

Les matériaux hautes performances sont aussi connus pour leurs propriétés mécaniques élevées. Nicolas explique : « La famille des PAEK présente de nombreuses propriétés mécaniques intéressantes comme une haute rigidité. Ils permettent d’obtenir un gain de poids comparé à des pièces en usinages standards : on peut dans certain cas obtenir une diminution de poids de l’ordre de 40% » Les thermoplastiques hautes performances apportent donc des réductions de poids finales ce qui vient impacter directement les coûts pour des secteurs comme l’aéronautique : en diminuant le poids d’une pièce d’un avion par exemple, on vient réduire sa consommation globale en carburant et donc le coût final associé.

Pièce imprimée en 3D avec le PEKK Carbon de Kimya (crédits photo : Kimya)

Le Dr. Abraham Avalos conclut sur les avantages associés à ses matériaux : “Les thermoplastiques hautes performances résistent à des conditions de fonctionnement exigeant des résistances à divers produits chimiques, aux radiations et à l’hydrolyse. Le PEEK et le PEKK résistent à un large éventail de produits chimiques et de solvants, ainsi qu’aux rayons bêta, gamma et X. De nombreux niveaux d’ULTEM offrent des propriétés de résistance chimique particulières utiles dans les industries de l’aérospatiale et de l’automobile. L’ULTEM est d’ailleurs nettement moins coûteux que d’autres thermoplastiques hautes performances.”

Quels sont les pré-requis pour imprimer des matériaux hautes performances ?

Trois environnements de température sont à prendre en compte : celle de l’extrusion, du plateau d’impression et enfin de la chambre d’impression. Dr. Abraham Avalos de AON3D explique : “Si la température de la buse est trop élevée, cela peut entraîner une déformation partielle et un suintement du filament. Trop faible, la cohésion entre couches est affaiblie, de même que la mauvaise impression des détails en raison de la viscosité accrue du polymère.” Concernant la température du plateau, si celle-ci est trop haute, le retrait de la pièce sera quasiment impossible car la première couche va trop adhérer au plateau, ce qui pourrait alors l’endommager. Si elle est trop faible, on aura un problème d’adhérence entraînant alors une déformation de la pièce ou un décalage pendant l’impression. Enfin, la chambre chauffée permet de soutenir une forte liaison intercouche et  d’empêcher le retrait lorsque le matériau passe de l’état fondu à l’état solide. Dr. Abraham Alvos poursuit : “Elle réduit également la génération de contraintes résiduelles dans la pièce qui, lorsqu’elles sont mal contrôlées, peuvent produire des fissures et des déformations. La température de la chambre est généralement maintenue légèrement en dessous de la température de transition vitreuse du matériau.”

Pièce imprimée en 3D sur la machine AON3D M2 (crédits photo : AON3D)

Si ces trois températures sont essentielles dans le processus d’impression, il ne faut pas négliger le phénomène de cristallisation de ces matériaux qui va influencer le résultat final. Le PEEK et le PEKK sont des semi-cristallins qui auront tendance à former des cristaux dans des environnements plus chauds que leur température de transition vitreuse. Ce phénomène aura pour conséquence un retrait puis une déformation et enfin un détachement du plateau pendant le processus d’impression. Benjamin Devic explique : “La clé d’une impression réussie, en matière haute température, réside dans la capacité de l’imprimante 3D à maintenir la pièce en cours de production au plus proche de sa température de cristallisation. Par exemple, pour l’impression du PEEK, il faut maintenir celle-ci à une température de 250°C pendant la fabrication. Ce maintien thermique peut être fait soit en chauffant l’enceinte de la machine, soit en chauffant la pièce directement pendant son impression, comme avec la Spiderbot V4 HT.” Si cette phase est bien maîtrisée, la pièce finale pourra avoir une résistance mécanique et chimique supérieure.

Pièces imprimées en 3D à partir de PEEK (crédits photo : ALSIMA)

Quels matériaux choisir : les conseils de nos experts

Maintenant que vous en savez plus sur le PEEK, le PEKK et le PEI, nos trois experts vous livrent leurs impressions et quelques conseils pratiques pour mieux vous orienter dans votre choix. Si celui-ci dépendra beaucoup de l’application finale, il n’en demeure pas moins que certains de ces thermoplastiques sont plus faciles à manipuler que d’autres. Nicolas Morand affirme : « Les PAEK sont encore assez chers, avec peu d’imprimantes FDM compatibles sur le marché même si on observe un développement de plus en plus important de celles-ci. Ces matériaux ressent assez difficiles à utiliser, il faut en être bien conscient. J’aurais toutefois tendance à dire que le PEKK est plus simple à imprimer que le PEEK. Idem pour le PEI, il est plus facile à manipuler que le PEEK. »

Poignées imprimées en 3D avec le PEI de Kimya (crédits photo : Kimya)

Quant à Benjamin Devic, il explique : “Le PEEK a un rendu moins beau mais permet une température de fonctionnement plus élevée par rapport à un PEI. Le choix matière est vraiment dépendant de l’application choisie et de ses contraintes.”

Enfin, Dr. Abraham Alvos conclut : “Assurez-vous que l’imprimante 3D industrielle que vous choisissez est à même de fournir le type de contrôle thermique nécessaire pour obtenir des pièces de grande qualité. Allez au delà de la fiche technique de la machine et construisez une relation de confiance avec le fabricant qui a une expertise en science des matériaux. Il vous aidera à obtenir les meilleurs résultats possibles pour votre application.”

Pièce imprimée en 3D à partir de PEEK (crédits photo : ALSIMA)

Et vous, quels matériaux d’impression 3D hautes performances utilisez-vous ? Partagez votre opinion dans les commentaires de l’article ou avec les membres du forum 3Dnatives.

Mélanie W.

Diplômée de l'Université Paris Dauphine, je suis passionnée par l'écriture et la communication. J'aime découvrir toutes les nouveautés technologiques de notre société digitale et aime les partager. Je considère l'impression 3D comme une avancée technologique majeure touchant la majorité des secteurs. C'est d'ailleurs ce qui fait toute sa richesse.

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Mélanie W.
Tags: PEEKPEI

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