Médical et Dentaire

Joseph DeSimone nous partage sa vision du marché de l’impression 3D résine au service du médical

Il y a un peu plus de dix ans, le célèbre chimiste Dr. Joseph DeSimone a présenté une technologie révolutionnaire qui allait constituer le fondement de la société Carbon, dont il était le cofondateur et le CEO. Cette technologie, connue sous le nom de Continuous Liquid Interface Production (CLIP), a transformé l’impression 3D résine en augmentant considérablement sa vitesse et son efficacité. Aujourd’hui, Joseph DeSimone et son équipe de chercheurs de l’université de Stanford ont encore perfectionné cette technologie en développant l’Injection CLIP (iCLIP). Cette innovation est à la base de PinPrint, une nouvelle entreprise cofondée par Joseph DeSimone. La mission de PinPrint est de repenser l’expérience des patients dans le domaine des vaccinations et des traitements médicamenteux. Nous allons ici explorer la technologie et la vision qui sous-tendent PinPrint, les réflexions de Joseph DeSimone sur les facteurs qui ont contribué au succès de Carbon et ses conseils aux futurs leaders dans le domaine de la science et de la fabrication additive.

La première cible de PinPrint est les patchs à micro-aiguilles, qui offrent une alternative indolore aux aiguilles conventionnelles. Ils peuvent être utilisés pour l’administration de vaccins et de médicaments à des fins thérapeutiques et cosmétiques, ainsi que pour le prélèvement d’échantillons de liquide interstitiel. Comparés aux aiguilles, les patchs à micro-aiguilles sont faciles à appliquer, moins dangereux et peu invasifs. Cela signifie qu’ils peuvent être facilement administrés à domicile ou dans des environnements non cliniques, en plus des environnements cliniques. De plus, ces patchs présentent moins de risques d’infection microbienne et sont plus faciles à éliminer que les aiguilles classiques. Ces dispositifs existent depuis des décennies et sont faciles à fabriquer à l’aide de méthodes traditionnelles. Cependant, PinPrint tire parti de la fabrication additive pour obtenir des géométries très complexes, ce qui permet de créer des micro-aiguilles avec des canaux microfluidiques et des espaces négatifs qui seraient impossibles à intégrer dans le cadre d’une fabrication conventionnelle.

Un patch à micro-aiguilles standard, sans canaux microfluidiques (crédits photo : MyLife Technologies)

Résoudre le problème de la sur-polymérisation : CLIP vs iCLIP

La réalisation de telles géométries dans des patchs à micro-aiguilles ne pouvait se faire qu’en résolvant un problème fondamental lié à l’impression 3D résine : la sur-polymérisation. Celle-ci désigne la fermeture involontaire des espaces négatifs. Elle se produit lorsque la lumière UV atteint des couches déjà polymérisées, provoquant une polymérisation dans des espaces qui étaient censés être négatifs, ce qui réduit la résolution de l’axe Z. Joseph DeSimone et le laboratoire de Stanford ont voulu résoudre ce problème et obtenir une résolution supérieure non seulement dans le plan XY, mais aussi dans l’axe Z.

Pour comprendre la solution proposée par l’équipe, il faut d’abord s’intéresser à la technologie CLIP. À l’instar d’autres technologies de photopolymérisation VAT, elle consiste à durcir la résine à l’aide de rayons UV. La principale nouveauté réside dans une fenêtre spéciale située sous la résine, qui est transparente à la lumière, mais également perméable à l’oxygène. La technologie CLIP contrôle le flux d’oxygène à travers cette fenêtre, créant ainsi une « zone morte » dans le réservoir de résine, d’une épaisseur de quelques dizaines de microns seulement, où la photopolymérisation ne se produit pas. Cet espace crée une succion qui provoque l’écoulement continu de la résine lorsque le plateau d’impression se lève. Ainsi, au lieu d’être imprimé couche par couche, un objet est développé dans la cuve de résine, juste au-dessus de la zone morte, ce qui permet une impression 100 à 1 000 fois plus rapide que les méthodes d’impression 3D conventionnelles. Cette méthode a permis d’obtenir une résolution remarquable dans le plan XY, mais a laissé l’axe Z confronté à un problème de sur-durcissement.

Près de dix ans plus tard, Joseph DeSimone et une équipe de Stanford ont introduit l’iCLIP pour résoudre ce problème, publiant leur étude historique dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) en septembre 2024. Cette technique consiste à pomper en permanence de la résine naturellement oxygénée (inhibée) dans tout l’espace négatif, qu’il s’agisse de canaux ou de treillis, afin d’éliminer toute résine résiduelle susceptible d’être sur-polymérisée. Le processus pousse donc mécaniquement la résine dans l’espace, au lieu de compter sur l’aspiration pour l’attirer. Cette avancée a permis la création de microcanaux de plus petit diamètre et de plus faible hauteur, améliorant considérablement la fonctionnalité, et permettant désormais d’imprimer des éléments avec des pixels haute résolution de 10 à 25 microns. De manière générale, le laboratoire se concentre sur la fabrication à l’aide de la lumière, cherchant à atteindre une résolution de l’ordre du micron dans les trois coordonnées cartésiennes.

Diagrammes illustrant les canaux microfluidiques créés à l’aide de la technologie iCLIP (crédits photo : I.A. Coates, et al./PNAS)

Comment utiliser les patchs à micro-aiguilles PinPrint ?

Avec une solution pour la sur-polymérisation en poche, Joseph DeSimone et son équipe ont commencé à améliorer les patchs à micro-aiguilles en les intégrant à la microfluidique. Les patchs à micro-aiguilles PinPrint ne sont pas encore disponibles sur le marché, mais la société teste actuellement ses patchs sur des humains. Une fois prêts à être commercialisés, l’un des premiers médicaments avec lesquels PinPrint fonctionnera sera la lidocaïne, un anesthésique local qui engourdit la zone où il est appliqué. Joseph DeSimone envisage de vendre ces patchs à la lidocaïne aux cliniques dermatologiques afin d’endormir instantanément les patients, au lieu d’attendre 30 minutes que la crème anesthésiante fasse effet. Il compare cette approche commerciale au bowling : « Quelle est la première quille que vous voulez renverser pour faire tomber les autres ? Pour nous, cette première quille, c’est la lidocaïne. »

Quelles sont les autres « quilles » que PinPrint espère renverser ? M. DeSimone voit un potentiel dans l’utilisation des patchs pour collecter du liquide interstitiel. « Imaginez que vous entriez dans un Walmart, que vous mettiez un patch, que vous fassiez vos courses, que vous laissiez le patch à la caisse et que vous obteniez des informations moléculaires au lieu de subir une ponction veineuse et une prise de sang », explique-t-il. Un autre cas d’utilisation pourrait être celui des sociétés pharmaceutiques qui achètent les patchs et les remplissent d’un (ou plusieurs) vaccins.

Comparaison visuelle entre des microcanaux créés à l’aide de la technique iCLIP et une pièce de monnaie (crédits photo : I.A. Coates, et al./PNAS)

Une perspective entrepreneuriale

Au cours des dernières années, le secteur de la fabrication additive a été confronté à un marché plus morose, marqué par des acquisitions et des licenciements importants. Malgré cela, M. DeSimone a déclaré que Carbon n’avait pas vraiment ressenti d’impact. « Je pense que c’est peut-être parce que nous nous sommes concentrés sans relâche sur la fabrication et sur la manière d’intégrer l’impression 3D dans la fabrication réelle », a-t-il déclaré, citant les premiers partenariats de Carbon avec adidas et Invisalign. « Le fait d’être à la croisée des chemins entre le matériel, les logiciels et les matériaux a été la clé de cette réussite. »

Il attribue également une partie du succès de Carbon au modèle d’abonnement de l’entreprise : « Nous avons un modèle d’abonnement et, à ma connaissance, il n’existe aucun autre matériel de fabrication faisant l’objet d’un abonnement dans aucun secteur industriel. Au début, même nos propres investisseurs se demandaient si nous pourrions obtenir des abonnements de trois ans plutôt que d’un an, et aujourd’hui, comme nous sommes dans le secteur de la fabrication, cela se transforme en fait en abonnements de cinq ans. Nous avons donc une excellente visibilité sur nos revenus : ils sont contractuels. »

Où devrions-nous concentrer nos efforts ?

Lorsqu’on lui a demandé quels conseils il donnerait aux jeunes scientifiques et ingénieurs qui souhaitent faire bouger les choses dans l’industrie, M. DeSimone a avancé une idée qui pourrait surprendre : « Je pense qu’on peut avancer un argument assez convaincant selon lequel, à bien des égards, il n’est plus nécessaire de mener des recherches sur les polymères verts et durables, par exemple », a-t-il commencé. « On pourrait aujourd’hui tirer un trait sur le passé et dire : OK, ça suffit, mettons en œuvre ce que nous avons… Il existe beaucoup de choses formidables qui ne sont pas utilisées. Pourquoi ? » Son argument était clair : il existe un potentiel inexploité considérable qui pourrait être mis à profit dès maintenant, si seulement il était mis en pratique.

Pour ceux qui cherchent à commercialiser des technologies disruptives, M. DeSimone recommande le livre de Geoffrey Moore, Crossing the Chasm. « Ce livre était notre bible chez Carbon. C’est notre bible chez PinPrint », a-t-il déclaré, soulignant la pertinence toujours d’actualité des idées de M. Moore.

Carbon propose à ses partenaires de mettre à l’échelle leur production grâce à son parc d’imprimantes 3D (crédits photo : Carbon)

Plus généralement, M. DeSimone reconnaît le rôle crucial des entreprises et des politiques dans la promotion du progrès. « Il faut des entrepreneurs et des changements politiques, et il existe aujourd’hui une énorme opportunité de se concentrer sur l’intégration verticale et de faire avancer les choses… Les jeunes devraient réfléchir à leur rôle dans ce domaine », a-t-il insisté, soulignant l’énorme potentiel pour les leaders émergents dans ce domaine.

M. DeSimone a également abordé une question qui se pose actuellement aux États-Unis : « Nous sommes actuellement confrontés à un défi aux États-Unis avec la guerre contre les universités, et notre technologie est sans doute issue de ce type de contexte », a-t-il fait remarquer. « Ne vous méprenez pas, je pense que des changements doivent avoir lieu dans la recherche universitaire, mais je me demande si la communauté est prête à prendre ces décisions difficiles concernant ce qui doit être financé et ce qui ne doit pas l’être. » Il a exprimé l’espoir qu’une meilleure compréhension de la commercialisation puisse guider certaines, sinon toutes, de ces décisions difficiles. En fin de compte, M. DeSimone a souligné que pour qu’une entreprise technologique réussisse, elle doit disposer à la fois d’une stratégie commerciale solide et d’une base technologique solide. Avec PinPrint, la combinaison d’une vision stratégique et d’une technologie innovante est prometteuse, et nous suivrons avec intérêt l’accueil réservé à cette technologie dans le secteur des soins de santé.

Que pensez-vous de PinPrint, son impact sur le secteur médical, et des conseils de Joseph DeSimone ? N’hésitez pas à partager votre avis dans les commentaires de l’article. Vous êtes intéressés par l’actualité de l’impression 3D médicale ? Cliquez ICI. Vous pouvez aussi nous suivre sur Facebook ou LinkedIn !

*Photo de couverture : Patchs à micro-aiguilles créés à l’aide de la technologie iCLIP (crédits : I.A. Coates, et al./PNAS)

Mélanie W.

Diplômée de l'Université Paris Dauphine, je suis passionnée par l'écriture et la communication. J'aime découvrir toutes les nouveautés technologiques de notre société digitale et aime les partager. Je considère l'impression 3D comme une avancée technologique majeure touchant la majorité des secteurs. C'est d'ailleurs ce qui fait toute sa richesse.

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Mélanie W.

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